Jounal du 26 septembre au 29 octobre 1916 - Une baisse de moral

Publié le 29 Octobre 2016

Mardi 26 septembre 1916

L’année passée, j’échappais miraculeusement à la mort ; j’avais à la main mon chapelet, mon vieux chapelet que maman m’a donné avant la guerre et qui ne me quitte pas. Je ne le récite pas, hélas ! Tous les jours : notre vie est si brutale que parfois on voudrait prier, mais aucun mot ne vient : on ne peut qu’offrir ses souffrances au Bon Dieu…

 

Vendredi 29 septembre 1916

Je passe adjoint au Bureau de ma Compagnie, en remplacement du titulaire permissionnaire. Je finirai mon séjour ici dans la tranquillité. Mes nouvelles fonctions me dispensent du travail de nuit et m’arrachent à la vie d’escouade où je ne peux plus me sentir, tant l’esprit des hommes est mauvais.

Depuis quelques jours, l’ennemi bombarde le village à l’heure du ravitaillement. On se presse pour circuler.

 

Samedi 30 septembre 1916

L’ennemi a passablement bombardé nos lignes et le village (77, 105 et 150). Rien de cassé.

Il y a un an, hier, j’étais nommé caporal et passais à la 14e escouade ; nous étions relevés par les Coloniaux et mis en réserve dans les cagnats boches du Camp de l’Aiguille, ancien P.C. du 69e Régiment d’ersatz-réserve allemand.

 

OCTOBRE 1916

Dimanche 1er octobre 1916

J’ai aujourd’hui vingt-deux ans. Que de chemin parcouru depuis deux années ! Cette dernière année surtout, il me semble que j’ai souffert davantage et aussi que je suis dans de moins bonnes dispositions que l’an passé. Je maugrée plus facilement devant la souffrance ; je ne me suis pas senti soutenu par mes supérieurs directs, sergents et adjudant ; je suis dégoûté de cette vie d’escouade, en compagnie de gens souvent peu intéressants. Dans cette nouvelle année qui vient, je voudrais retrouver ma gaieté chrétienne du début de la campagne ; je voudrais me montrer plus fort dans la souffrance. Si Dieu permet que je tombe, j’accepte ce sort ; ma dernière pensée sera pour Lui, la Vierge, la France, maman, ma famille.

Un ami le Lyon m’écrivait, l’autre jour, que je devrais faire vœu d’un pèlerinage à Lourdes, si je reviens de la guerre. J’irai avec plaisir m’acquitter de semblable pèlerinage… Combien vaste sera, après la guerre, le champ d’activité des Catholiques… ! Au Patronage, il me semble que, si je rentre, ce sera mon devoir de remplacer de mon mieux les amis tombés, le brave Mouterde qui, de là-haut, m’aura lui aussi protégé.

 

Mercredi 4 octobre 1916

Notre artillerie montre une grande activité à notre gauche, malgré la brume et le temps pluvieux. C’est une préparation d’artillerie qui commence en vue de l’attaque de Vaux et de Douaumont ; il en est question depuis longtemps déjà.

Une grande nouvelle qui met la joie au cœur de tous : le pourcentage des permissions est porté à treize, une exécution de la note du 30 septembre du Général Joffre.

 

Jeudi 5 octobre 1916

Je reçois une lettre d’Antoine qui m’annonce son départ en permission et ma désignation par l’état-major de la Division pour le Cours des Chefs de Section.

 

Vendredi 6 octobre 1916

Le rapport qui vient d’arriver m’enjoint de quitter Eix de suite pour me rendre au Camp de la Chiffour, auprès des Comptables de ma Compagnie, en attendant l’ordre de départ. Mes adieux sont rapides et brusqués, et « en route ! ». Je dis adieu à ces coins inhospitaliers : au Mardi Gras, au Fort de Moulainville, etc. Que de souvenirs !

Le 2e Bataillon est à la Chiffour, après huit jours de séjour aux tranchées du Mardi Gras. Il montera le 9 relever le 1er Bataillon à Eix. Je trouve là quelques amis : le brave Cursoud, Dory, etc.

 

 

Localisation de Moulainville

Localisation de Moulainville

Lundi 9 octobre 1916

Je n’ai pas voulu quitter le front sans une dernière Communion à la « Cagnat du Bon Dieu » pour le remercier de sa protection, me remettre pleinement entre ses mains, à l’heure où il semble m’appeler à de nouvelles fonctions plus lourdes de responsabilités et pour lesquelles j’aurai besoin de force et d’énergie.

 

Mardi 10 octobre 1916

Mon Bataillon est descendu cette nuit ; j’ai donc pu revoir mes poilus, mes amis à qui j’avais fait des adieux fort précipités l’autre jour.

Je vais coucher ce soir à Ancemont, au T.R.

 

Mercredi 11 octobre 1916

Départ d’Ancemont en auto à sept heures trente. Nous traversons Bar-le-Duc et arrivons à

treize heures à Cousances-aux-Forges.

 

Dimanche 29 octobre 1916

Notre cours bat son plein, quoique la discipline se soit un peu radoucie. Nous devions « péter

le feu », nous avait-on dit à notre arrivée et, maintenant, nous menons un petit train de vie bien tranquille.

Mon inquiétude, en venant ici, touchait au chapitre des camarades. Pendant les dix ou quinze premiers jours, j’ai vécu sans trouver « d’âmes sœurs ». J’ai souffert pendant ces jours. Je n’ai pu communier de trois semaines et cette privation de la visite de Jésus me pesait. Je ne pouvais être heureux.

Je me suis fait présenter au Cercle Militaire que le Curé met à la disposition des soldats ; j’y ai, enfin rencontré des amis. Et puis, avec la connaissance des « cheminements » qui permettent de déjouer les consignes du quartier, je me suis enfin approché de la Sainte Table.

Quoique le niveau intellectuel soit un peu plus relevé, l’on est frappé parfois de la pauvreté et de l’illogisme des propos et raisonnements que l’on entend. Au point de vue moral, l’instruction ne fait pas la vertu : c’est pour moi un fait acquis. Je me prends parfois à regretter l’honnêteté de cœur de tel ou tel poilu, simple artisan, devenu pour moi un véritable ami, et dans les circonstances les plus critiques, au feu, alors qu’on dispute sa vie à la mort et qu’il faut, avant cela encore, se sacrifier au but à atteindre.

 

Les chrétiens de la Grande Guerre

Les chrétiens de la Grande Guerre

Rédigé par Frédéric B.

Publié dans #Journal

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