Journal du 30 juin au 16 juillet 1915 - Des nouvelles de l'Arrière

Publié le 17 Juillet 2015

 

Les Carnets de Guerre de Frédéric B. - Du 30 juin au 16 juillet 1915 (Des nouvelles de l'Arrière par le Poilu Frédéric B.)

Les Carnets de Guerre de Frédéric B. - Du 4 au 16 février 1915 (Cafard et chauchemard de tranchées par le Poilu Frédéric B.)

 
 
 
 

 

Mercredi 30 juin 1915

 

Nous sommes remontés ce soir à la tranchée, après huit jours de repos.

Nous avons trouvé Bray tout révolutionné par les incursions des avions ennemis. Plusieurs civils partirent le jour du premier bombardement et les quatre ou cinq jours suivants. Dans la ville, une petite note pittoresque : sur chaque maison, nous trouvâmes écrit en gros caractères : "Cave -… Hommes". C’est assez curieux.

Antoine a failli être tué au cours du premier bombardement c’est-à-dire le 21 juin. Par bonheur, la bombe qui tomba dans son bureau n’était qu’un projectile incendiaire et ne fit, somme toute, que peu de dégâts.

 

 
 
Bray bombardée (1915)

Bray bombardée (1915)

 

A midi, Antoine et moi nous dînions avec le père Charavay et plusieurs de ses amis : "Monsieur" Pion, Leplat.

Pluie presque continuelle ; exercices fort intéressants de prise de tranchée, marches. Les Taubes1 n’ont pas daigné nous lancer de bombes et les obus ne sont pas venus pendant ces huit jours. Notre artillerie ayant, paraît-il, bombardé Curlu, le bombardement de Bray ne pouvait être qu’une mesure de représailles. Les boches ne se gêneraient pas, dit-on, pour nous en avertir par la T.S.F.2

 


 

JUILLET 1915

 

Jeudi 1er juillet 1915

 

A deux de nos torpilles, les Allemands répondent par une dizaine de 150, dont l’un enterre le crapouillaud et plusieurs autres démolissent le parapet de la tranchée.

Le soir, travail aux fils de fer.


 

Vendredi 2 juillet 1915

 

Quatre obus de 150 dans la journée. Sur les sept heures du soir, les Allemands envoient dans la direction de notre cagnat deux bombes à fusil3 : la riposte est prompte : trois obus de 75 et une salve de deux torpilles.

Fils de fer.


 

Réseau de "fils de fer" barbelés en 1915, destinés à ralentir la progression ennemie en cas d'attaque.

Réseau de "fils de fer" barbelés en 1915, destinés à ralentir la progression ennemie en cas d'attaque.

 

Samedi 3 juillet 1915

 

Calme. Point d’obus. Nous travaillons à renforcer notre cagnat.


 

Dimanche 4, au mardi 6 juillet 1915

 

Journées paisibles.


 

Mercredi 7 juillet 1915

 

Nous avons eu, hier, un spectacle extraordinaire. Depuis trois jours, le vent du sud soufflait violemment et avait amené enfin l’orage. Un vent chaud, épais nuages noirs, violents éclairs. De part et d’autre, calme complet… Une voix s’élève de la tranchée allemande et chante un air d’Opéra… Au loin, canonnade sur Dompierre.


 

Jeudi 8 juillet 1915

 

Nous descendons cette nuit à Bray.

Depuis le soir, un petit canon de 80 de montagne, placé sous casemate4 entre notre Compagnie et la 2e, crache de temps à autre sur les tranchées ennemies de Montauban. La réponse, d’ailleurs ne tarde pas, car, aussitôt, des rafales de 105 inondent le terrain d’alentour. La position de la pièce semble avoir été assez exactement repérée. Le 22le verra et nous en constaterons les effets lors de notre prochain retour.

 

 

Canon de 80

Canon de 80

 

La Compagnie, dit-on, irait occuper cette fois le Moulin de Fargny ; depuis quatre jours, les boyaux sont pleins de ces rumeurs ; les officiers et sous-officiers de la 4e Compagnie sont venus reconnaître le secteur que nous avons tenu jusqu’ici… Ce serait un changement, certes ! Plus de patrouilles "à la flanc"5, mais les embuscades réciproques avec leurs dangers.

En attendant, les langues travaillent.

Antoine a dû partir ce matin en permission à Lyon. Je serai donc seul à Bray, Charavay étant au repos à Suzanne.


 

Dimanche 11 juillet 1915

 

C’est aujourd’hui dimanche. En sortant de la messe j’ai trouvé le père Charavay, venu à Bray. Nous avons dîné et passé la journée en compagnie.

Nous venions de demeurer deux jours durant en cantonnement d’alerte, une action d’artillerie étant engagée à Fricourt.


 

Mercredi 14 juillet 1915

 

Journée de gaieté factice, malgré les améliorations apportées à l’ordinaire. Pluie, temps gris. Les hommes sont trop préoccupés pour être bien gais ; beaucoup, en fin de journée, étaient ivres et braillaient dans les granges.

Au fond d’eux-mêmes, ces hommes sentent qu’ils ont été des dupes pendant ces trente ans de politique radicale6 et ils en veulent à tous les profiteurs qui "leur ont monté le coup" et qui, en empêchant une complète préparation militaire, ont, dans leurs responsabilités, la longue durée de la guerre.

Les premiers permissionnaires nous sont revenus avant-hier avec une "tête de cafard", certains au moins. Tous sont unanimes à dire que l’on s’amuse à l’arrière, que l’on n’y sait pas ce qu’est la guerre, qu’embusqués7 et jeunes gens y sont légion ; que les femmes trompent leurs maris, etc. Cette dernière constatation a donné le cafard à plus d’un qui n’est pas parti ; le plus drôle est de voir comment ont les fait marcher…

Par exemple, il est dur de constater cet oubli de la situation présente qui règne à l’arrière et cette démoralisation. Il manque l’esprit chrétien qui fait accepter la souffrance, comme un gage de résurrection et de vie surnaturelle.


 

Jeudi 15 juillet 1915

 

J’ai passé l’après-midi à Cappy, auprès de l’abbé Paradis. Nous sommes allés aux entonnoirs du 25 juin, à Frise… prodigieux ! Et avons poussé jusqu’à la Grenouillère, grosse ferme que nos canons ont rasée.

A Frise8, M. Paradis à procédé à l’enterrement d’un pauvre gars de la classe 15, tué par une bombe la nuit précédente. C’est une cérémonie toujours triste et impressionnante dans sa simplicité.

Le petit cimetière du Poste de Secours de Frise est déjà bien grand : quelques chasseurs du 53e Bataillon, des volontaires du 1er Etranger, Belges, Italiens, Russes, Alsaciens… La croix y voisine avec les tables juives.


 

Vendredi 16 juillet 1915

 

C’est l’anniversaire de la mort de papa. J’y ai pensé souvent. J’ai pu assister plusieurs fois à la messe, ces huit jours-ci et aujourd’hui, je l’ai suivie avec plus de ferveur que de coutume.

Nous remontons ce soir dans notre ancien secteur, jusqu’à nouvel ordre. Antoine ne rentre que cette nuit ; je ne le verrai donc pas.


 

1 Avions ressemblant a un oiseau.

2 Radio servant à la communication pendant la guerre

3 Fusils lanceur de bombes

4 Bâtiments protégés pour accueillir des troupes

5 "Manquant de sérieux et courage", qui tirent au flanc.

6 Allusion au Parti radical de la Troisième république, née un peu plus de 30 années auparavant.

7 Homme valide qui échappe à la guerre, "planqué".

 

8 Village de la Somme.

Rédigé par Frédéric B.

Publié dans #Journal

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