Journal du 15 mai au 22 juin 1915 - De fameuses alertes !
Publié le 23 Juin 2015
Les Carnets de Guerre de Frédéric B. - Du 15 mai au 22 juin 1915 (De fameuses alertes ! par le Poilu Frédéric B.)
Les Carnets de Guerre de Frédéric B. - Du 4 au 16 février 1915 (Cafard et chauchemard de tranchées par le Poilu Frédéric B.)
Samedi 15 mai 1915
Huit heures du matin. Nos artilleurs lancent sept ou huit bombes auxquelles l’ennemi riposte par des "saucisses"1 et des obus. Le concert dure pendant une heure.
Samedi 22 mai 1915
Relève. Nous descendons à Bray. Hier soir, la patrouille a failli se faire pincer, mais elle a pu rentrer sans casse. Nous sommes réveillés à trois heures du matin par six avions boches qui vont jeter des bombes sur Bray.
(En tête du deuxième carnet de route)
O ma Souveraine, ô ma Mère,
Souvenez-vous que je vous appartiens !
Gardez-moi, défendez-moi comme votre bien, votre propriété.
Samedi 29 mai 1915
Dix-sept heures trente : départ de Bray pour la tranchée. Avant de quitter Antoine, je lui ai remis mon premier carnet de route ; il l’enverra à… afin qu’il parvienne à maman au cas où je viendrais à tomber. Visite à la Sainte Vierge avant de partir. A la tranchée, nous occupons le même secteur.
Lundi 31 mai 1915
Hier patrouille habituelle : c’est dur de sortir de la tranchée ; l’on a besoin de faire appel à son énergie et à la prière.
Dans l’après-midi, les Allemands arrosent la tranchée par des rafales de 105 fusants et percutants.
Mercredi 2 juin 1915
Nous voyant jeter de la terre, l’ennemi nous arrose à nouveau de 105 qui tombent dans un rayon de cinquante mètres autour de la cagnat, dont un ou deux fort près. Mais, après la tempête, on fait la chasse aux fusées.
Le soir, patrouille fixe pour protéger les camarades qui coupent le trèfle devant la tranchée, sur la droite de la Compagnie. Lundi soir, j’étais déjà allé en patrouille semblable à gauche de notre trou de mine. L’ennemi tire peu.
Jeudi 3 juin 1915
Les allemands ont placé sur leur petit poste, à gauche de la route de Peronne, une pancarte portant cette inscription :
"Przemyíl est à nous ! Hourrah !"
Par distraction, on envoie quelques coups de fusil… La reprise de la citadelle est possible, probable même, mais n’influera certainement pas sur notre victoire finale.
Je pensais qu’il y aurait fusillade le soir, en face. Calme ordinaire.
Hier, après-midi, excursion au Moulin de Fargny.
Samedi 5 juin 1915
Dans la nuit d’hier, une grosse reconnaissance s’est heurtée à des patrouilles ennemies dans les Marais de Fargny. Nous avons entendu une vive et courte fusillade à vingt-deux heures. Détails imprécis et contradictoires. Nous n’avons que deux blessés légers.
Dimanche 6 juin 1915
Le soir, relève. La Compagnie est de repos à Suzanne.
Lundi 7 juin 1915
Chaleur accablante. Pour fuir la vermine qui nous ronge2, j’installe ma tente pour passer la nuit.
Antoine vient me voir de Bray.
Nous devons aller travailler la nuit près de Maricourt.
Jeudi 10 juin 1915
Je puis descendre à Bray dîner et passer un court moment avec Antoine. Demain, fête du Sacré Cœur. Communion. A partir de demain, je suis le peloton des élèves caporaux.
Dimanche 13 juin 1915
J’obtiens une permission pour aller voir Antoine. Dîner avec Charavay.
Lundi 14 juin 1915
Le soir, relève, même secteur. Communion le matin ; visite à la Sainte Vierge avant le départ, le soir. Dès l’arrivée, nous nous mettons au travail, pour couvrir notre cagnat de gros rondins.
Jeudi 17 juin 1915
Hier, la Compagnie ayant lancé trois ou quatre torpilles, les Allemands ripostent par une vingtaine de 105. Le soir, patrouille ; trouvé un pétard à la mélinite3 allemand.
Dimanche 20 juin 1915
A dix heures du matin, bombardement par les Allemands en riposte à deux de nos bombes : cinquante obus de 77 ou de 105 ; résultat nul. Hier soir, corvée de fils de fer. J’ai été sentinelle avancée dans les trèfles. Nous sommes rentrés à vingt-trois heures trente. Les Allemands s’étaient mis à tirer soudain. Vingt-deux heures : canonnade sur Dompierre, fusillade.
Lundi 21 juin 1915
Ce matin, à quatre heures, six Aviatik4 passent salués par une vive fusillade et vont bombarder Bray.
Mardi 22 juin 1915
Hier soir, à vingt et une heures, nous avons eu une fameuse alerte.
Nous devions aller placer des fils de fer sur la droite de la Compagnie ; nous étions prêt à sortir, lorsqu’on vient nous chercher : un de chez nous, nous dit-on, a passé à l’ennemi ! On a tiré sur lui, il est tombé… Le fait s’est produit au petit poste de la route. Aucun coup de fusil, le plus grand silence en face de nous.
Nous allons au petit poste de la route ; au même moment, on fait passer que l’ennemi s’avance sur le centre de la 5e Compagnie, à notre gauche. Tous de courir aux créneaux. Le temps de m’équiper, (j’étais en cagoule d’éclaireur), je reviens et trouve tout le monde qui s’en retourne. L’alerte est finie.
En vérité, j’étais énervé hier au soir et, s’il y avait eu un coup de chien, j’aurais tapé dur, je crois. Il faut en finir.
En face, on entendait des chants, des hourras… deux bombes nous furent lancées par l’ennemi… Ces chants, en contraste avec le silence de la nuit et le bruit de nos fusils, nous entretenaient dans un singulier état de défiance.
Un autre souci motivait encore ce redoublement de vigilance : pendant la journée, on avait aperçu dans le ciel un petit carré de papier tournant d’un mouvement régulier suivant sa diagonale, restant toujours à la même hauteur ; venant des lignes ennemies, il avait été emporté à perte de vue, par la brise nord-nord-est – sud-sud-ouest. On craignait une attaque par émission de gaz asphyxiants. Toutes les précautions étaient prises d’ailleurs.
Quand au déserteur, on sut que c’était un pauvre fou, du 101e Territorial ; il rentra d’ailleurs de lui-même dans nos lignes, blessé d’une balle au genou.
Nous descendons ce soir au repos à Bray. Il n’y a plus "la vie" à Bray avec les bombardements par avions et 105. Enfin, à la grâce de Dieu !
(deuxième bombardement de Bray par avions).
1Ce sont des ballons captifs d'observation, ainsi nommés pour leur forme allongée.
2Allusion ici aux poux, véritables fléaux des tranchées.
3Explosif utilisé généralement pour les destructions en campagne (brèches, destruction de voie ferrée ou de ligne télégraphique, etc.)
4L'Aviatik est un avion militaire allemand de la Première Guerre mondiale.