Journal du 27 mars au 12 avril 1916 - Des conditions de plus en plus difficiles

Publié le 12 Avril 2016

 

Les Carnets de Guerre de Frédéric B. - Du 27 mars au 12 avril 1916 (Des conditions épouvantables aux tranchées" par le Poilu Frédéric B.)

 

 

Lundi 27 mars 1916

Nuit épouvantable. Il pleut à verse. Le mauvais temps n’interrompt pas la lutte d’artillerie ; vers une heure du matin seulement, le temps se découvre et, finalement, nous pouvons sur le matin, placer quelques fils de fer.

Je l’ai échappé belle : j’étais dehors, quand ma cagna s’est effondrée sous la pression de la terre détrempée. J’ai pu, par bonheur, sauver tout mon matériel.

Toute la journée, l’artillerie a tapé de part et d’autre.

 

Mardi 28 mars 1916

Nuit détestable à cause du mauvais temps, mais même activité de l’artillerie. Depuis deux soirs, l’artillerie ennemie lance des rafales sur Watronville, vers huit ou neuf heures du soir.

 

Mercredi 29 mars 1916

Le temps est toujours détestable, la boue infecte.

Hier soir, le spectacle des feux d’artillerie était grandiose dans son horreur. A plusieurs reprises, sur notre gauche, de violents feux de barrage se déclenchent.

Dans notre secteur, par deux fois, vers vingt et une heures, l’ennemi inonde le village de Watronville de rafales de 150. Toute la nuit, des 77 et 105 fusants arrosent nos tranchées, mais plus à gauche.

Ce matin à quatre heures trente, même arrosage.

A partir de une heure du matin, la pluie tombe à verse. La boue nous envahit. L’artillerie se calme un peu.

 

Jeudi 30 mars 1916

Le temps se découvre, la journée est relativement calme, à part deux ou trois séances de bombardement. Watronville ne reçoit qu’un petit nombre d’obus. Sur la gauche, la canonnade s’est ralentie.

 

Vendredi 31 mars 1916

La nuit a été belle mais froide ; artillerie calme, sauf le tir de harcèlement habituel.

Journée magnifique ; beaucoup d’avions boches. Notre artillerie se tait pour ne pas se faire repérer. Quelques rafales ennemies sur les tranchées et Watronville.

Violent bombardement à notre gauche. On ne voit que de la fumée. Cela dure toute l’après-midi.

 

Tranchée dans la Somme en 1916

Tranchée dans la Somme en 1916

 

AVRIL 1916

 

Samedi 1er avril 1916

Hier soir, notre artillerie est sortie de son silence, après le départ des oiseaux boches, à dix-sept heures.

Au début de la nuit, rafales de 77 et 105 sur nos tranchées et nos lignes arrières. Continuation de la canonnade sur la gauche ; cela « tape » à droite.

Le 22e est enfin venu nous relever cette nuit à une heure. Le Bataillon descend au repos aux péniches du Canal de l’Est à Dieue.

Journée magnifique et chaude. Les bords de la Meuse sont splendides. Grande lessive et bains de lézard.

 

Dimanche 2 avril 1916

Il y a longtemps que je n’ai pas dormi la nuit d’une façon aussi bonne. Comme je me suis couché, je me suis retrouvé.

Repos, revue, lessive.

 

Lundi 3 avril 1916

Une journée splendide. La vie de caserne a repris avec exercices et revues.

Beaucoup de malades (symptômes de typhoïde1) sont évacués.

 

Vendredi 7 avril 1916

Après deux jours de pluie, le beau temps est revenu. Nous quittons les péniches pour aller au Camp de Tremblay, relever le troisième Bataillon et travailler pendant le reste de notre repos. Au Camp de Tremblay, point de baraquements : il faut monter les tentes, reprendre les vieilles habitudes de Champagne, dans une saison inclémente.

L’on murmure que nous ne demeurerons pas longtemps ici ; même, nous devions aller travailler cette nuit, mais un contrordre est arrivé, dit-on, pour cause de départ immédiat.

Certes, à moi comme aux camarades, il ne serait point désagréable de quitter ce pays, mais la crainte comme à tous est que l’on ne nous envoie sur la gauche, à Vaux, ou un groupe du 54e d’artillerie est établi pour renforcer le 2e d’artillerie, de la 27e Division.

Le rapport d’aujourd’hui donne ordre aux Commandants de Compagnie de nommer parmi les classes 14 et au-dessous, deux ou trois soldats, caporaux et sous-officiers, susceptibles de faire des élèves aspirants pour passer le concours le 18 mai à Saint-Cyr. Je me suis fait inscrire pour tenter encore une fois la chance, mais sans m’illusionner pour cela, car (1) je ne suis pas « engagé » et c’est le gros point ; (2) je n’ai pas le « piston»… d’ailleurs, je me suis toujours bien dit que, pour ces raisons, je ne gagnerai mes galons qu’à la pointe de la baïonnette et en souffrant.

D’avance, j’ai dit au Bon Dieu que je m’en remettais à sa sagesse et, s’il lui plaît de me retirer à l’arrière pour un temps, il le fera au moment voulu. J’ai juré de ma soumettre à sa volonté : je veux rester, quoi qu’il arrive, soumis à sa volonté.

L’état sanitaire reste mauvais : chaque jour, des évacuations. Mes meilleurs amis et camarades sont partis. Il faut vraiment que ce soit la volonté de Dieu que je continue cette vie de souffrances et de dangers.

 

Samedi 8 avril 1916

Repos jusqu’au soir. Le départ semble imminent.

 

Dimanche 9 avril 1916

Nous avons travaillé la nuit passée à creuser un boyau sur le Plateau des Blusses, dans les Carrières. Partis à dix-huit heures, nous avons trouvé en route le 2e Bataillon, un Bataillon du 30e, le ravitaillement du 22e : d’où un désordre épouvantable, à-coups, arrêts et groupements sur une route très battue par l’artillerie ennemie. Nous n’avons été placé sur le chantier qu’à vingt heures trente… Rien n’est plus sot, énervant, pénible et démoralisant que ces marches et mises en chantier de nuit. On, entend parmi les hommes les pires réflexions, justifiées parfois, sur le Commandement ; et souvent il est malaisé d’y apporter réponse.

Par bonheur, ni notre artillerie, ni celle de l’ennemi n’ont tiré. Il semble bien, d’ailleurs, que de part et d’autre, il y ait moins de pièces. La bataille de Verdun est maintenant étroitement localisée de Vaux à Haucourt-en-Argonne.

J’ai entendu la messe au Camp. Chez la grande masse des soldats, il y a beaucoup de respect humain et d’indifférence religieuse. Je ne sais jusqu’à quel point la pensée de leurs Pâques préoccupe la plupart, mais presque à tous l’initiative manque…

 

Lundi 10 avril 1916

Nous avons été relevés hier soir à six heures par le 414e et nous sommes venus cantonner à Dieue-sur-Meuse.

Journée splendide ; les Boches canonnent le village de Dugny et la route Ancemont - Dugny.

Nous avons quitté Dieue ce matin, à huit heures, pour refaire en sens inverse le chemin parcouru, il y a quarante jours, par Ancemont, les Monthairons, et, par un chemin de terre et les bois : Recourt-le-Creux. Grand-halte deux kilomètres après Recourt. Nous cantonnons à Issoncourt, sur la route de Bar-le-Duc à Verdun, à égale distance de ces deux villes.

Nous retrouvons du « pinard » : ce sont les scènes de beuverie inévitables après ces quarante jours de privations.

 

Mercredi 12 avril 1916

Nous croyions partir ; mais aucun ordre n’est arrivé. Il est probable que nous passerons ici trois ou quatre jours.

Le temps s’est mis à la pluie ; il fait froid.

Sur la grand-route de Verdun, c’est un défilé continuel de camions automobiles chargés de munitions et de troupes. Nous avons vu monter le 60e, le 328e, du 5e Génie, le 147e d’infanterie, pendant que redescendaient les 91e et 26e. Ces convois de troupe sont fort laids à voir. Ceux qui montent chantent parfois, mais le plus souvent le silence règne. Certains régiments, tels le 328e, avaient cantonné à Issoncourt (le 328e après Tahure le 31 octobre 1915) et saluaient le village au passage. Ceux qui descendaient étaient boueux, sales, et dormaient pour la plupart.

 

Village de Tremblay en 1916

Village de Tremblay en 1916

 

1Typhoïde : maladie infectieuse, contagieuse et transmise aussi par l'eau et les aliments, donnant un état de stupeur et des troubles digestifs

1Typhoïde : maladie infectieuse, contagieuse et transmise aussi par l'eau et les aliments, donnant un état de stupeur et des troubles digestifs

Rédigé par Frédéric B.

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