Journal du 25 avril au 13 mai 1916 - Retour sur les jours d'avant l'attaque terrible de Verdun

Publié le 1 Mai 2016

 

Mardi 25 avril 1916

J’ai dormi cette nuit tant que j’ai pu ; je n’avais pas couché dans des draps depuis ma permission et la fatigue des derniers jours et du voyage m’accablait. Je ne me suis réveillé qu’au jus, ou plutôt au café au lait servi avec un petit croûton de pain.

J’ai remercié mille et mille fois le Bon Dieu de sa protection…

Que faisaient mes camarades pendant ce temps là ?

Je pense, non sans horreur à leurs souffrances et comprends mon bonheur.

Carte postale. Collection Mme Lagarde - Soldat dans Hopital de Brive vers 1916

Carte postale. Collection Mme Lagarde - Soldat dans Hopital de Brive vers 1916

IX. Douaumont

(Ecrit à l’hôpital C de Chaumont, 24 avril - 13 mai 1916)

 

FREDERIC B. RACONTE LES JOURS AYANT PRECEDES L'ATTAQUE DE VERDUN DURANT LAQUELLE IL A ETE BLESSE / LES 2 BILLETS PRECEDENTS, EVOQUANT LES EVENEMENTS DU 13 AU 22 AVRIL 1916, ONT AUSSI ETE ECRITS A L'HOPITAL : POUR DES RAISONS PRATIQUES ET UNE COMPREHENSION CHRONOLOGIQUE, NOUS LES AVONS PUBLIES AVANT CE BILLET, EXPLIQUANT CI-DESSOUS DANS QUEL CONTEXTE CES LONGS RECITS ONT ETE ECRITS

 

Après huit jours de bon repos à l’hôpital C de Chaumont, je veux retracer ce que j’ai vu et souffert là-haut sur ce plateau maudit de Douaumont, pendant les quelques jours que j’ai dû y passer.

 

Carte postale ancienne - Hôpital de Chaumont vers 1915

Carte postale ancienne - Hôpital de Chaumont vers 1915

 

Nous étions depuis quelques jours à Issoncourt, petit village de quatre-vingt habitants sur la grand-route Verdun - Bar-le-Duc. Nous arrivions de la Woëvre où, un mois durant, la Division avait tenu les Hauts de Meuse, devant Watronville, Ronvaux et Châtillon. Au Régiment, l’état sanitaire était assez mauvais et nous étions heureux de jouir d’un repos. Nous ne comptions pas sur une quiétude bien prolongée, d’ailleurs, ayant quitté Arches le 27 février seulement. Pour ma part, quand je vis que nous demeurions dans l’axe des communications de Verdun, je ne me fis aucune illusion, d’autant plus que le VIIe Corps, et d’autres, étaient remontés pour la deuxième fois dans la direction de Verdun.

Et voici que le Mardi Saint, au Rapport, le Lieutenant commandant la Compagnie nous avertit de l’imminence de notre départ et nous prépare aux jours difficiles qui nous sont réservés et qui promettent d’être sanglants. Il est évident, dès lors, que ce n’est plus qu’une question d’heures.

Et, en effet, à dix-sept heures, on nous annonce le départ pour la nuit suivante : embarquement en automobiles ; direction probable : Douaumont… Chez tous, adieu la gaieté !

Avant de partir là-bas, d’où je pourrais ne pas revenir, je veux revoir Antoine et je me dispose à me glisser dans un camion à destination de Chaumont-sur-Aire où il se trouve, lorsque je le vois moi-même descendre d’une auto.

De suite à son air et à ses paroles, je comprends la gravité de la situation : et certes, ce n’est pas sans un frisson que l’on pense à la mort et aux souffrances du champ de bataille. Ce soir là, d’ailleurs, je ne suis pas à mon aise, fatigué et énervé par tous les « tuyaux » en cours ; et puis, quoique pendant cette semaine, j’aie pu communier, la quiétude amollit d’autant plus que la vie menée précédemment a été plus rude et plus agitée. Antoine me fait communier : dans la pauvre église d’Issoncourt, nous voici plusieurs qui venons chercher auprès de Jésus la force et le courage… Et, après avoir remis à Antoine quelques objets personnels et des lettres, je l’accompagne quelques pas et l’embrasse.

Au cantonnement, c’est la fièvre et l’agitation des grands jours. Les caporaux procèdent aux distributions, des discussions s’engagent dans les groupes.

A trois heures quinze, nous nous embarquons… Ces embarquements sont toujours d’un très mauvais effet sur le moral, et plus d’un, en prenant sa place, se dit : peut-être n’en reviendrais-je pas… Nous sommes seize par camion, entassés les uns sur les autres.

 

Embarquement à Villers-Coudun (Oise - 1916 - Mémorial virtuel du Chemin des Dames)

Embarquement à Villers-Coudun (Oise - 1916 - Mémorial virtuel du Chemin des Dames)

 

Je ne sais à quelle heure nous débarquons, quatre heures trente peut-être, après un trajet d’une vingtaine de kilomètres et la traversée de plusieurs villages. Toujours est-il que nous sommes tous glacés, car le temps est frais, à la pluie. Nous attendons environ trois heures les autres Bataillons à Baleycourt, tout petit village situé sur la route de Verdun, à sept kilomètres de la ville, entièrement occupé par les ambulances et une gare de ravitaillement. Au long de la route, nous trouvons les premiers trous d’obus, de vraies « marmites » tirées par des pièces à longue portée mais encore fort clairsemées.

Les autre Bataillons nous ont rejoints : nous poursuivons notre route sur Verdun, traversant successivement Regret, puis Glorieux. Ces deux villages portent les traces de nombreux obus ; et plus l’on s’approche de la ville, plus se multiplient les marques du bombardement. Les Compagnies marchent section par section, à cinquante mètres de distance ; ainsi entrons-nous dans Verdun, par la Porte de France, je crois, qui donne sur la Manutention et la Citadelle… Le quartier de la Porte de France et de la Citadelle est l’un des plus bombardés ; à chaque instant, les Boches tirent soit sur la Manutention, soit sur le pont de la Meuse (route de Dugny), la voie ferrée Saint-Mihiel - Verdun.

Mon Bataillon cantonne au quartier du 61e d’artillerie, Caserne d’Anthouard : il n’y a évidemment aucun abri de bombardement. A la vérité, les troupes sont réparties dans les rez-de-chaussée et les premiers étages : un obus qui frapperait le sommet des murailles pourrait donc, à la rigueur, éclater sans faire de mal.

Durant les deux journées que nous passons à Verdun, les points de chute des projectiles se trouvent localisés du côté de la Porte de France, assez près de nous. Quand au temps, il ne cesse d’être détestable, pluie et vent, sauf un moment après le coucher du soleil ; depuis une dizaine de jours, les averses se suivent sans trêve.

Verdun ! A vrai dire, je n’ai vu que peu de choses de la ville ; mais ce peu m’a produit une triste impression. Il n’est pas de rue qui n’ait ses maisons trouées par les obus et certaines, complètements éventrées, témoignent de la grosseur du projectile qui les frappa. Beaucoup sont incendiées. Les casernes sont fort touchées ; celle que nous habitons a reçu plusieurs 380 ; les écuries, situées par derrière, ont souffert. Le Séminaire et la Cathédrale, qui dominent la ville, ont également reçu nombre de gros obus, mais les tours de la Cathédrale se dressent encore intactes et fières.

 

Cathédrale de Verdun au début du XXème siècle

Cathédrale de Verdun au début du XXème siècle

 

Depuis les premiers jours de mars, Verdun est complètement évacué. On ne voit dans les rues que des gendarmes et des poilus qui rodent insouciants des marmites… Rien n’est plus lugubre qu’une ville morte ainsi et chaque jour plus cruellement mutilée, car, tous les jours, les Boches tirent sur la ville.

Nous nous installons de notre mieux dans notre Caserne et, malgré qu’il soit probable que notre séjour n’y sera pas long, la plupart courent les greniers pour chercher des pieds de châlits et monter des lits comme dans l’Active… Le bruit court, un moment, que nous devrons partir le soir même pour prendre position ; mais il n’en est rien et seuls, le soir, les Commandants de Compagnie vont reconnaître le secteur : une auto vient, en effet, sur les dix-huit heures, qui emmène le Colonel ; les autres officiers partent plus tard à pied.

Nous recueillons justement ce soir des précisions sur le secteur que nous occuperons.

Le 19e Régiment d’Infanterie (22e Division, XIe Corps), nous dit un soldat de ce Régiment, agent de liaison à la Brigade à laquelle est rattaché son corps, est en position depuis vingt-deux jours devant le bois de Chauffour, à l’ouest de Douaumont, entre ce fort et la Côte du Poivre. Le Poste de Commandement de la Brigade se trouve au Fort de Froideterre, copieusement bombardé chaque jour ; celui de la Division au Fort de Saint-Michel, un peu plus en arrière.

Le 19e eut, tout d’abord, à repousser les violentes attaques des 4 et 5 avril où déjà il éprouva quelques pertes ; mais, au cours d’une nouvelle attaque de l’ennemi, le Régiment, trop affaibli pour tenir, s’est laissé prendre une tranchée ; un Bataillon du 63e, encerclé à dû se rendre. Le 19eoccupe encore ses positions, avec un effectif de trois cents hommes, renforcé par du 328e, du 147e. Depuis ce recul, il n’y a pas eu d’autre engagement, mais, comme toujours, le bombardement est incessant, terrible et meurtrier, faute d’abris. Point de tranchées de première ligne ; partout de la boue ; un ravitaillement impossible.

Bref les renseignements ne sont pas rassurants ; l’éloignement et l’anxiété les rendent plus inquiétants encore… Et l’on éprouve comme un soulagement à se dire parfois : « Après tout « cela » est peut-être moins terrible qu’on ne le dit ».

Je ne passe pas une mauvaise nuit ; je n’ai guère de paille, mais la paille n’est qu’un accessoire. Pendant la nuit, nos cuisines arrivent et nous buvons du « jus » chaud et touchons le ravitaillement.

Le temps est détestable comme la veille : averses continuelles et vent froid.

 

Ravitaillement un soir sous la pluie Dessin de Sem - Quelques dessins de guerre, 1915-1916 (http://www.dessins1418.fr/)

Ravitaillement un soir sous la pluie Dessin de Sem - Quelques dessins de guerre, 1915-1916 (http://www.dessins1418.fr/)

Rédigé par Frédéric B.

Publié dans #Journal

Commenter cet article