Il s’appelait Frédéric BRANCHE (1894-1918) - Le parcours d'un soldat de la Grande guerre

Publié le 13 Juin 2018

 

CE TEXTE A ÉTÉ RÉDIGÉ PAR LES MEMBRES DE L'ATELIER ET YANN B., ENSEIGNANT, A PARTIR DE RECHERCHES EFFECTUÉES PAR LES ÉLÈVES DU LYCÉE CLEMENCE ROYER DE FONSORBES (31) AU COURS DE SES 4 ANNÉES D'EXISTENCE, ET DE L'ATELIER GÉNÉALOGIE. MIS A JOUR EN JUILLET 2023 .

 

Après 4 années à publier son récit au jour le jour, sur Twitter et sur ce blog...après 96 articles et 1.773 tweets...l'heure est venue de quitter Frédéric B. Son récit nous a nourris, nous a émus, nous a fait trembler, de nombreuses fois. A l'aube de ce projet pédagogique créé par un professeur d'Histoire-Géographie du collège de Fontenilles en 2014 puis exporté au Lycée Clémence Royer de Fonsorbes en 2015, il avait été décidé de rendre ce soldat anonyme, en tronquant son nom de famille, pour qu'élèves et lecteurs ignorent tout de son sort et partagent ses incertitudes, ses craintes, ses doutes.

 

Mais ce dimanche 9 juin 1918 (ou samedi 9 juin 2018),  Frédéric B. est mort, tué à l'ennemi. Il nous incombe désormais de lui rendre son nom et son histoire, sur la base d'archives familiales et de recherches inédites.

 

Il s'appelait Frédéric BRANCHE. Et il est temps de le faire pleinement revivre ... (le portrait ci-dessous a été gracieusement colorisé par Frédéric Duriez, dont vous découvrirez le travail ici : http://histoire.de.couleurs.free.fr/).

 

Portrait colorisé du soldat Frédéric Branche - (© Bertrand Channac / Colorisation par http://histoire.de.couleurs.free.fr )

Portrait colorisé du soldat Frédéric Branche - (© Bertrand Channac / Colorisation par http://histoire.de.couleurs.free.fr )

 

Frédéric BRANCHE est né le 1er octobre 1894 de Joseph  BRANCHE, 46 ans, docteur en médecine, et d'Alice (Franceline Georgette) BOUCHE, 35 ans, sans profession (l'acte de naissance de Frédéric B. indique qu'elle a 36 ans mais des documents d'état civil découverts en 2023 aux archives de Haute-Savoie indiquent qu'elle est née le 21 février 1859 à Annecy).

 

Il avait pour second prénom "Emile", et pour troisième "Marie" (cliquez sur l'image pour l'agrandir).

 

Acte de naissance de Frédéric BRANCHE (État-civil de Lyon - 1894 - cliquez pour agrandir)

Acte de naissance de Frédéric BRANCHE (État-civil de Lyon - 1894 - cliquez pour agrandir)

 

Il a vu le jour a 16h00, au domicile de ses parents, 117 Boulevard de la Croix-Rousse, artère emblématique de la ville de Lyon, relativement large, bordée de beaux immeubles et de platanes, qui desservait alors la gare de Lyon-Croix-Rousse, accolée à la station haute du funiculaire de la rue Terme. Ses parents déménagèrent non loin, certainement en 1895, au 7 rue d'Isly, dans cette maison "qui abrita [ses] vingts ans", comme il l'évoque au début de ses carnets de guerre (cette dernière maison a depuis été détruite et remplacée par une rangée de garages).

 

Boulevard de la Croix-Rousse vers 1910 / L'immeuble dans lequel naquit Frédéric B., de nos jours
Boulevard de la Croix-Rousse vers 1910 / L'immeuble dans lequel naquit Frédéric B., de nos jours

Boulevard de la Croix-Rousse vers 1910 / L'immeuble dans lequel naquit Frédéric B., de nos jours

 

Sa fiche matricule militaire, enregistrée au bureau de Lyon-Nord en 1914 (n° 6535-1039), nous indique ce que ses deux rares portraits en noir et blanc ne peuvent témoigner. Il mesurait 1m66 (ce qui était alors très exactement la moyenne française), était de stature fine, avait les cheveux châtains, les yeux marrons. Le reste de son "signalement" renvoi à des caractérisations d'époque (front "bombé", nez "busqué" et visage "lentillé", c'est-à-dire certainement parsemé de tâches de rousseur, ce que ses photographies ne rendent pas perceptible).

 

Il était de bonne constitution physique : tout juste trois fois malade durant les quatre années du conflit, pour de courtes durées. En août 1915 (deux jours), en avril 1917 (un genoux raide), puis une dernière fois, peut-être de manière décisive : une grippe, qui le fatigue grandement à la fin du mois de mai 1918, abat ses forces, et le conduit à l'infirmerie de son bataillon, dont il sort le 27 dudit mois, "las". Deux semaines à peine avant l'assaut au cours duquel il perdit la vie. Son éducation contribua pour beaucoup, sans doute, à ce qu'il conserve si bien sa santé, malgré la promiscuité propre aux tranchées : il montre dans ses écrits une bonne connaissance des symptômes des principales maladies (comme le 3 avril 1916), et devait s'astreindre à une hygiène rigoureuse, sensibilisé par un père et des frères médecins (cliquez sur l'image pour l'agrandir).

 

Fiche matricule du "poilu" Frédéric BRANCHE (Lyon - 1914) - Cliquez pour agrandir

Fiche matricule du "poilu" Frédéric BRANCHE (Lyon - 1914) - Cliquez pour agrandir

 

A partir des quelques éléments indiqués sur son site par Bertrand Channac, petit neveu de Frédéric Branche et détenteur de ses carnets de guerre, et de recherches généalogiques complémentaires effectuées dans l'état-civil du Rhône et des départements alentours, il nous est possible de brosser le portrait de sa famille, de ses origines, et par là même de mieux l'appréhender. L'arbre ci-dessous, construit sous Heredis à partir de nos recherches, contredit sur certains points les données du site de Bertrand Channac : nous nous en sommes tenus aux informations trouvées directement dans les archives concernant les datations et les professions contradictoires.

 

Cliquez sur l'image pour l'agrandir, et mieux en lire les informations. Il s'agit d'un "arbre de fratrie monopage". Chaque colonne correspond à une génération. Celle dans laquelle Frédéric se trouve contient donc la mention de tous ses frères et sœurs.

 

Généalogie Frédéric BRANCHE (l'enseignant porteur du projet et club généalogie du Lycée de Fonsorbes / Heredis)

Généalogie Frédéric BRANCHE (l'enseignant porteur du projet et club généalogie du Lycée de Fonsorbes / Heredis)

 

Frédéric Branche a grandit dans une famille de la petite bourgeoisie lyonnaise, dans un cadre relativement aisé, et a bénéficié, comme il y fait référence de nombreuses fois dans ses Carnets de guerre, d'une éducation pieuse. Son père, Joseph Branche, était médecin, issu lui-même d'une famille de petits notables isérois. Jean-Baptiste Branche, le grand-père paternel, était directeur des Postes et maire de Goncelin au milieu du XIXème siècle. Julienne Charles, la grand-mère paternelle, est déclarée "rentière" dans les actes qui la concernent, et était elle-même fille de propriétaires terriens isérois. De son père, Frédéric Branche hérita de valeurs traditionnelles ("Se rappeler et prendre toujours comme ligne de conduite les dernières paroles de papa" - 5 septembre 1915), de ses traits ("Puisqu’on dit que je ressemble à papa" - 20 décembre 1914), et d'une foi chrétienne inébranlable, transpirant de ses écrits et à laquelle il estime devoir sa capacité à endurer la guerre ("Des principes religieux que vous m’avez donnés" - 14 mai 1915, lettre à sa mère).

Portrait de Joseph Branche (© Bertrand Channac)

Portrait de Joseph Branche (© Bertrand Channac)

 

S'identifiant souvent à lui, Frédéric évoque, le 5 septembre 1915, la participation de son père à la guerre franco-prussienne de 1870, puisant dans cet exemple, via les récits qu'il en reçu, courage et esprit de sacrifice. Frédéric Branche semble avoir grandement souffert de la disparition de son père, un an avant le déclenchement de la Grande guerre, d'une longue maladie : il y fait référence de nombreuses fois dans son journal, évoquant le manque que constitue son absence, mais aussi sa certitude de le revoir si la mort venait à le faucher précocément. Marqué (si ce n'est hanté) par ses dernières paroles, il les retranscrit  et les rappelle par trois fois dans ses carnets (les 8 novembre 1914, 26 février 1916 et 19 octobre 1917) : "Il nous a dit, sur son lit de mort : ne transigez jamais avec le devoir !" (cliquez sur l'image pour l'agrandir).

Acte de décès de Joseph BRANCHE (Etat-civil de la ville de Lyon)

Acte de décès de Joseph BRANCHE (Etat-civil de la ville de Lyon)

 

La mère de Frédéric Branche s'appelait Alice Bouche. Née en 1859, elle est issue d'une famille de notables savoyards. Le grand-père maternel, Joseph Bouche, était magistrat, vice-président du Tribunal d'Annecy. La grand-mère maternelle, Annette Girod, appelée usuellement Emma, connu bien son petit-fils, disparaissant seulement quelques mois avant Frédéric, dans la maison familiale, 7 rue d'Isly. Il l'appelait "Bonne maman", comme il en fait mention en janvier 1918, lorsqu'il apprend sa disparition ("Tant de souvenirs nous rattachaient à notre bonne maman !").

Annette "Emma" Girod, dite "Bonne-maman" (eau-forte de Jean Branche, frère de Frédéric - © Bertrand Channac)

Annette "Emma" Girod, dite "Bonne-maman" (eau-forte de Jean Branche, frère de Frédéric - © Bertrand Channac)

 

Sa mère, Alice, fait figure, tout au long du récit, de point d'ancrage. Il lui adresse des lettres très souvent, pour ne pas dire constamment. Pour le seul mois de mai 1918, il lui écrivit 13 courriers, qu'il n'eut jamais le temps de poster et qui furent retrouvés dans son portefeuille ensanglanté, puis retranscrits par son frère Antoine, en guise de conclusion de ses carnets. D'une grande foi chrétienne, sa mère porte la mémoire de son défunt mari, répétant ses enseignements à ses fils, comme des maximes destinées à les élever. Le chapelet qu'elle offrit à Frédéric B. avant son premier départ au front, tout comme plus tard le Manuel du Chrétien, ne le quittent jamais. Chacune de ses permissions, il les passe à Lyon, à aider sa mère, à se nourrir de sa résignation, quand bien même chaque adieu est marqué de larmes, d'incertitudes. La tendresse et l'admiration que Frédéric lui porte émaillent son journal, dans lequel il mentionne près de cent fois sa "petite maman", attestant des puissants liens d'affection qui les unissaient, teints de pudeur virile ("Maman était sur le quai [...]. Maman pleuraitcela me brisait le cœur ; mais je ne voulais pas faiblir et je me suis efforcé de leur sourire jusqu'à la dernière minute. Quel dur moment !" - 29 mai 1916).

 

Le cadre dans lequel Frédéric Branche grandit, dans le quartier lyonnais de la Croix-Rousse, fut d'abord celui d'une famille aisée. L'étude des recensements, plus particulièrement celui de 1906, nous renseigne assez précisément sur le niveau de vie de la famille Branche. Si l'on excepte d'étonnantes libertés sur les prénoms et dates de naissance des membres du foyer (le recenseur maîtrisait-il pleinement le français ?), il est à relever (et les recensements de 1896 et de 1911, davantage maîtrisés, le confirment) que la demeure des Branche était assez vaste pour loger jusqu'à 15-17 personnes. Outre les parents et leurs 12 enfants, on y comptait alors les grands-parents maternels (mention plus qu'étonnante pour le grand-père, que l'état civil indique mort en 1878), et des domestiques. Deux, en temps normal (cf. 1896), et, peut-être, jusqu'à quatre (cf. 1906) : deux valets de chambre, une cuisinière et un cocher. Ces deux derniers étaient certainement les employés de la belle-mère, l'ayant suivie lorsque celle-ci s’installa au 7 rue d'Isly, quelque part entre 1901 et 1906 (elle y mourut en 1918). La guerre et la mort du chef de famille en 1913 ne grévèrent pas trop l'aisance des Branche : le recensement de 1921 comptabilise encore deux domestiques, dont la fidèle Jeanette Buttin, née en 1872, employée de la famille depuis au moins 1896 et originaire de Rumilly, comme Joseph Branche, le père. A noter qu'en 1921, 8 des 11 enfants encore en vie d'Alice Bouche vivaient avec elle, bien que tous soient majeurs (l’aîné des présents, "Jean Frédéric", accusant alors 36 ans). Pour la soutenir dans ses deuils de femme et de mère, nouvelle preuve du sens aigu de la famille qui semble caractériser les Branche ? (cliquez sur l'image pour l'agrandir).

La famille Branche dans le recensement du 7 rue d'Isly - Lyon (1906)

La famille Branche dans le recensement du 7 rue d'Isly - Lyon (1906)

 

Les Carnets de guerre que nous avons publiés en continu depuis 2014 dessinent aussi le portrait moral et spirituel de Frédéric Branche. Sa foi le caractérise en premier lieu. Une foi immense en Dieu, qui l'aida à tenir et dont il émaille son récit, s'en remettant à Dieu et acceptant par avance le destin que celui-ci lui réserve. Le 31 mars 1918, il écrit ainsi : "Je m’efforce de tenir mon esprit et mon cœur près du Bon Dieu [...]. Dieu me conserve [...] pour faire de moi un humble artisan du relèvement religieux du Pays !". Cette foi confère à Frédéric une morale constante et aiguisée, parfois rude : il se montre régulièrement critique envers ses compagnons d'infortune s'abandonnant dans le vin ou d'autres échappatoires, tâchant de rester pour sa part sobre et lucide, quand bien même la mélancolie le gagne (6 avril 1918 : "Beaucoup, blasés, perdent la tête, et l’on rencontre dans les rues du village des poilus portant une bonne cuite : le vin est le seul remède à leur ennui et l’on devine combien [...] ils ont honte de la déchéance physique et morale où cette vie les plonge").

 

Frédéric Branche possède un réel sens de la famille, tout autant que de l'amitié. En témoigne sa lettre du 16 novembre 1914, écrite alors qu'il quittait la caserne de Vienne pour partir pour la première fois au front, lettre adressée comme il l'écrit dans ses Carnets "aux parents de [s]on ami Mouterde, où [il] leur exprime [s]a sympathie à l’occasion de la mort de leur fils". Cette lettre a été redécouverte il y a peu par le petit-neveu de Joseph Mouterde, qui en a adressé une copie à Bertrand Channac, et dont voici l'émouvante reproduction, qui donne à voir - c'en est la seule trace - l'écriture de Frédéric Branche (ses Carnets de route nous sont parvenus en version tapuscrite).

Lettre de Frédéric Branche aux parents de son ami Joseph Mouterde (novembre 1914)
Lettre de Frédéric Branche aux parents de son ami Joseph Mouterde (novembre 1914)
Lettre de Frédéric Branche aux parents de son ami Joseph Mouterde (novembre 1914)
Lettre de Frédéric Branche aux parents de son ami Joseph Mouterde (novembre 1914)

Lettre de Frédéric Branche aux parents de son ami Joseph Mouterde (novembre 1914)

 

Si, durant l'année 1914 et une partie de l'année 1915, Frédéric Branche semble entouré, il vécu la Première guerre mondiale en quasi solitaire. En 1916, 1917 et 1918, il n'évoque ses amis que pour rappeler leur disparition (Mouterde, Serve, Chalon, Gravier, etc.), ou pour indiquer qu'ils servent dans d'autres régiments (6 novembre 1916 : "On m’a remis ce matin un mot de mon brave ami P. Besse qui se trouve, dit-il, au Bataillon de marche du 128e, à Cousancelles, à un kilomètre d’ici. J’ose à peine le croire. Depuis deux ans, nous ne nous sommes pas vus !"). Il est frappant de constater qu'en 1917 et 1918, Frédéric Branche ne fait jamais mention d'un ami qui partagerait son quotidien de soldat. Nous disposons en outre d'une photographie sur laquelle il apparaît entouré de quelques uns de ses camarades, mais dont la date nous est inconnue. Selon toute vraisemblance, elle date de 1916, dernière année durant laquelle Frédéric évoque l'une des personnes figurant sur ce cliché, Auguste Grandjean (cliquez sur l'image pour l'agrandir).

 Auguste Grandjean - Paul Castel - Frédéric Branche - André Bal (vers 1916 : 99ème R.I. / © Bertrand Channac)

Auguste Grandjean - Paul Castel - Frédéric Branche - André Bal (vers 1916 : 99ème R.I. / © Bertrand Channac)

 

Cette relative solitude - surtout morale, le fossé spirituel le séparant de ses camarades de régiment ayant constitué semble-t-il un frein à la naissance de nouvelles et durables amitiés - contribua à ce que, régulièrement, Frédéric Branche céda au désespoir. Pour les années 1916, 1917 et 1918, ses écrits sont remplis de mélancolie, notre soldat ployant sous le poids des épreuves, du temps, de la peur et de la lucidité mêlés. Comme dans les jours précédents sa mort, où il confesse sa grande "lassitude" à sa mère et son frère Antoine. Ou comme le 2 octobre 1917, où il écrit : "Quel est mon moral en ces jours ? Quelconque, ou plutôt je cherche à rentrer un peu en moi-même, à me retremper dans la prière [...]. Trois ans de vie dans le milieu militaire, surtout un an de vie de sous-officier m’ont abruti. Et puis, là-dessus, la souffrance que nous ne savons pas toujours supporter. Voilà plusieurs mois, me semble-t-il que je vis dans un état de désarroi moral et, par moment une impuissance de penser et de prier. C’est dur. La période la plus horrible que j’ai vécue".

 

Enfin, en creux de son récit se révèle l'humilité de Frédéric Branche. En particulier lorsqu'en avril 1917 il n'évoque dans ses Carnets de guerre...rien d'autre que la disparition de son cousin Michel et son retour de permission, tandis que ce même mois, le 7, il a été cité à l'ordre du 99ème Régiment d'infanterie, pour avoir mené une reconnaissance avant l'attaque d'un village, d'où il a rapporté des renseignement précieux sur les positions allemandes. Le 27 octobre 1920, il fut inscrit à titre posthume au tableau spécial de la médaille militaire (publié au Journal officiel du 29 janvier 1921), et reçu la Croix de guerre 1914-1918 avec étoile d'argent. La mention décrivait ainsi notre soldat : "Jeune sous-officier plein d'ardeur et d'entrain, très brave au feu. Vivant exemple pour ses hommes" (source : CAPM Pau, collection Y. B.)

Citation de Frédéric BRANCHE (99ème RI - 7 avril 1917 - Fiche matricule)

Citation de Frédéric BRANCHE (99ème RI - 7 avril 1917 - Fiche matricule)

 

Ce que nous connaissons le mieux de Frédéric BRANCHE c'est, justement, son vécu de la Première Guerre mondiale. Son récit, étalé sur 4 années, publié sur le présent blog ainsi que sur le compte twitter dédié en temps réel (@FredericB_1418), nous l'a présenté jeune conscrit en caserne à Vienne, en novembre 1914, lorsque fut pris le portrait ci-dessous.

Frédéric BRANCHE en caserne à Vienne en 1914 (© Bertrand Channac)

Frédéric BRANCHE en caserne à Vienne en 1914 (© Bertrand Channac)

 

Puis ce fut la découverte des tranchées, les Fraternisations de Noël, le front de la Somme, la Bataille de Champagne (1915), les permissions à Lyon, la Meuse, la Bataille de Verdun (1916) et la première blessure grave, le retour dans la Somme, le Chemin des Dames, la promotion en tant que chef de section, la Bataille de la Malmaison (1917), l'éloignement et le cafard, l'Alsace, la Bataille du Kemmel (1918 - Belgique) ... jusqu'à cette balle qui scella son destin, aux environs de Reims.

 

Comment raconter de nouveau ces années de souffrance ? Le mieux reste de relire les écrits de Frédéric. Dans une nouvelle rubrique du site, vous trouverez un sommaire vous permettant de naviguer plus facilement dans ce long et passionnant récit, classant ses chapitres chronologiquement et thématiquement : LES CARNETS DE FRÉDÉRIC B. MOIS PAR MOIS

Fiche "Mort pour la France" de Frédéric BRANCHE (http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/)

Fiche "Mort pour la France" de Frédéric BRANCHE (http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/)

 

Ce Journal de guerre, que Frédéric BRANCHE appelait ses Carnets de route, nous est connu par les retranscriptions dactylographiées qu'il en faisait lui-même à la machine à écrire, pendant ses permissions ou au repos, à partir de notes manuscrites qu'il rédigeait sur des feuillets lorsqu'il se trouvait au front. Nous en avons la preuve, outre par les copies dont nous disposons, par une lettre de sa sœur Julienne à son frère Jean, datée du 29 mars 1918, dans laquelle elle écrit : "La machine à écrire reste silencieuse. Fred l'avait fait marcher pendant sa permission pour recopier ses carnets de route".

Lettre de Julienne B. à Jean B. (29 mars 1918 - Coll. Bertrand Channac)

Lettre de Julienne B. à Jean B. (29 mars 1918 - Coll. Bertrand Channac)

 

Les carnets n'allant que jusqu'au début du mois de mai 1918, le reste de son récit nous est connu par des lettres destinées à sa mère et à son frère Antoine, que notre soldat n'eut pas le temps de poster et qu'il portait sur lui au moment de sa mort. Son frère Antoine les retrouva dans son "portefeuille ensanglanté", lorsqu'il fut le premier informé de la mort de Frédéric, le 11 juin 1918, et les retranscrivit pour en enrichir ses carnets, concluant l'ensemble d'un ajout manuscrit terminant par ces mots : "Ce n’est donc plus moi qui parle dans ces lettres que je transcris maintenant comme pour donner le mot de l’admirable vie de notre Cher Frédéric. C’est lui-même, et ce que, prêtre, je pouvais lui dire, il le sait mieux que moi maintenant et il a le droit de nous l’enseigner".

 

Ces écrits furent conservés dans la famille, et sont aujourd'hui détenus par le petit-fils de Julienne, et donc petit-neveu de Frédéric BRANCHE : le docteur Bertrand CHANNAC, qui a accepté de nous confier une copie complète des écrits de son aïeul en mai 2014 et a suivi et facilité ce projet avec attention, tout au long de ses 4 années d'existence (son blog personnel sur lequel il a re-publié, après l'avoir supprimé, le récit de notre soldat en décalage de nos propres publications, pour nous aider à conserver le mystère sur son sort : CARNET DE ROUTE DE FRÉDÉRIC BRANCHE).

Un des feuillets tapuscrits composant les "Carnets de route" de Frédéric BRANCHE (coll. Bertrand CHANNAC)

Un des feuillets tapuscrits composant les "Carnets de route" de Frédéric BRANCHE (coll. Bertrand CHANNAC)

 

Pour terminer son portrait, et comme nous l'avons effleuré plus haut, Frédéric Branche a grandit dans une famille nombreuse. Il est le huitième enfant d'une fratrie de douze. Tous ont survécu à la guerre, excepté notre soldat. Les six fils Branche ont en effet tous participé au premier conflit mondial, de 1914 à 1918, comme en attestent leurs fiches matricules, mais aussi les propres écrits de Frédéric. Celui-ci a pu tous les revoir à l'occasion de ses permissions, mais aussi et surtout en arrière du front, au repos, entre deux offensives ou "séjours" en première ligne.

 

Jacques "Antoine" Branche, né en 1888 et décédé en 1968, prêtre, n'a pas combattu. Il semble avoir été secrétaire d'Etat-major, inapte au service armé pour cause de "faiblesse générale" et "d'anémie". De ce fait, davantage libre de ses mouvements que ses frères combattants, Antoine a pu à de très nombreuses occasions rendre visite à Frédéric, dont il semblait très proche. Il est, des onze frères et sœurs de notre soldat, le plus cité dans ses Carnets, et de loin (114 fois, davantage même que leur "maman", 101 fois). Pour la seule année 1915, il ne se passe pas un mois sans qu'ils n'aient l'occasion de dîner ou de se promener ensemble. Parmi les lettres que Frédéric portait sur lui au moment de sa mort, le 9 juin 1918, toutes étaient adressées soit à leur mère (16), soit à Antoine (7), auprès duquel notre poilu trouvait un réconfort familial autant que spirituel (en particulier lorsque Frédéric assistait, près du front, les messes données par Antoine). C'est ce dernier qui, le premier, apprit la disparition de Frédéric, de la bouche de ses camarades. Il récupérât ses maigres biens, organisa le transfert de sa dépouille vers Lyon, fit part de la triste nouvelle à leur famille, et dactylographia les derniers passages des carnets de Frédéric que ce dernier n'eut pas le temps de mettre au propre. Dans un rajout manuscrit aux dits carnets, Antoine écrivit : "Mais quelle émotion quand, seul enfin, j’ouvre le portefeuille ensanglanté : il y a là, comme en un sanctuaire, les photographies chéries, la copie des dernières recommandations de papa et quelques-unes des lettres que m’avaient dicté mon devoir de l’aider à faire de son épreuve un sacrifice de prière et de sainte expiation. Le pauvre enfant les a gardées sur lui, avec les adieux de son père, pour les relire aux heures difficiles. Et il nous les rend, après les avoir contresignés de son sang, comme pour nous engager à demeurer nous-même fidèles à notre devoir et nous rappeler où nous trouverons la force et la joie, au sein des détresses extrêmes : dans l’union à la Volonté de Dieu et l’abandon à sa Providence aimante".

 

Jacques "Jean" Baptiste Branche, né en 1891 et décédé en 1923 des suites du conflit (une tuberculose pulmonaire pour laquelle il reçut une pension militaire), était médecin, aide-major au 270ème R.I. à partir de 1916. Nous savons par Bertrand Channac, son petit-neveu, qu'il soutint en 1922, pourtant déjà très malade, une thèse intitulée Les troubles mentaux consécutifs à l'encéphalite épidémique, sous la direction de Jean Lépine. En 1920, il publia aussi une étude intitulée : Méningites, méningo-encéphalites et encéphalite léthargique. Proche de Frédéric en âge, ils ne se revoient que très peu : à l'occasion d'une permission commune en mai 1916, puis en janvier 1917. Les mouvements respectifs de leurs troupes les ont autrement maintenus éloignés l'un de l'autre. Toutefois, Frédéric se rapprocha symboliquement de son frère Jean dans ses dernières semaines de vie, allant rendre régulièrement visite à la famille Bayen, à L’Épine (Marne), chez qui Jean passa semble-t-il de nombreuses semaines en 1917. Au cours des dîners passés chez eux, les Bayen "professent pour Jean une véritable admiration", et "ont manifesté le plus grand contentement de connaître enfin l’un des frères du docteur". Jean Branche a laissé quelques eaux-fortes, témoignages émouvants de son quotidien. L'une d'entre elles figure l'église de L'Epine (cliquez sur un des côtés pour faire défiler les illustrations).

 

Eaux fortes de Jean Branche (L'Epine : 1917 - Champagne : 1917 - Bois 167 : 1916)
Eaux fortes de Jean Branche (L'Epine : 1917 - Champagne : 1917 - Bois 167 : 1916)
Eaux fortes de Jean Branche (L'Epine : 1917 - Champagne : 1917 - Bois 167 : 1916)

Eaux fortes de Jean Branche (L'Epine : 1917 - Champagne : 1917 - Bois 167 : 1916)

 

Les autres frères de Frédéric Branche sont très peu cités dans ses écrits. Il y a Adolphe "Emmanuel" (1883-1976), l’aîné, médecin, qu'il voit essentiellement fin 1915-début 1916, lorsque tous deux sont dans le secteur de Dannemarie (Haut-Rhin), puis une dernière fois dans l'Aisne, en novembre 1917. Il fut médecin aide-major de 1ère classe durant le conflit, rattaché au 9ème Régiment d'artillerie à pied puis à la 134ème D.I.

 

Vient ensuite Frédéric "Joseph" (1885-1966), médecin aide-major pour la durée de la guerre lui aussi, affecté aux hôpitaux de Salins, Besançon puis Nice, spécialisé en "neuropathologies". Frédéric le mentionne peu dans ses carnets : tout juste se voient-ils en mai 1916 alors que notre soldat est hospitalisé, puis en février 1918 à Héricourt (Haute-Saône). A noter que sur le recensement de 1921, contrairement aux autres dans lequel il est mentionné, il est nommé non sous son prénom usuel, "Joseph", mais sous son premier, "Frédéric". Est-ce là un hommage à distance à son plus jeune frère tombé pour la France en 1918 ? 

 

"Louis" Marie Léonce Branche (1890-1974) était teinturier et "employé de commerce", tout comme Frédéric avant le déclenchement de la Première guerre mondiale. Il a vécu les quatre années du conflit dans divers régiment d'artillerie, d'abord légère (54ème, 13ème et 7ème R.A.P.), puis lourde à partir de 1915. Frédéric et lui se revoient essentiellement à l'occasion de permissions (comme en novembre 1917 et lors de l'ultime visite de Frédéric à Lyon, en mars 1918). 

 

Ses sœurs (Yvonne, Anne Marie, Julienne - la grand-mère de Bertrand Channac, actuel détenteur des carnets de Frédéric Branche - Marie Rose et Elisabeth) et son plus jeune frère Georges (né en 1903) sont tout juste évoqués. Nous savons qu'ils était présents aux permissions de notre soldat, à ses arrivées et départs, gare de Lyon-Perrache. En mai 1918, Frédéric évoque, dans un passage amusant, "tous les hauts faits d’Elisabeth et du petit Georges", dont il reçoit parfois quelques lettres (Frédéric était le parrain de Georges).

 

Une lettre du 5 septembre 1915 à sa mère, dans laquelle il envisage sa disparition, nous renseigne de manière émouvante sur les liens l'unissant à chacun des membres de sa famille : "Ma chère maman, Je ne veux pas être pris au dépourvu : si je dois être tué au cours des combats prochains, je veux du moins que vous ayez de moi, en souvenir, ce carnet, le journal de mes actions pendant les longs mois de campagne. [...] Je remercie Antoine de l’assistance morale et fraternelle qu’il m’a prêtée pendant ces mois de campagne : il m’a relevé bien souvent le courage. Je recommande à tous mes frères et sœurs de ne jamais oublier l’autorité de maman et de l’entourer d’un grand respect, car le Bon Dieu nous a donné une Sainte Mère. A Georges, je recommande d’être bien sage et bien chrétien. Qu’il ne craigne pas, lorsqu’il sera un peu plus grand, de s’occuper de patronages et d’œuvres semblables, car c’est en luttant et en cherchant à propager ses idées qu’il arrivera à conserver sa foi et sa pureté intacte. Je lui recommande de ne jamais oublier son parrain".

 

FICHES MATRICULES DES FRÈRES DE FRÉDÉRIC BRANCHE (Zoom possible)

 

Dans cette même lettre du 5 septembre 1915, Frédéric Branche faisait part d'une de ses plus grandes craintes : "Je ne sais si je reposerai jamais dans le caveau familial. Si je suis tué ce sera peut-être la fosse commune. Faites le possible pour me rechercher et me retrouver. J’ai deux médailles d’identité ; de plus, comme signe distinctif particulier, j’ai un plombage aux deux incisives supérieures. Mais si vous ne pouvez me ramener, faites ce sacrifice pour le repos de mon âme".

Son corps identifié, et par l'entremise de son frère Antoine, Frédéric a échappé à la fosse commune. Il repose toujours au Cimetière "Ancien" de la Croix-Rousse, à Lyon. Si vous passez entre Saône et Rhône, vous le trouverez, endormi, au carré 27, allée 12, cases 7 et 8, aux côtés de ses parents, de sa sœur Anne-Marie et de son frère Jean.

Vous y lirez, gravées sur la pierre du caveau familial, deux citations latines. Plus bas, veillée par la statue de la Vierge en prière, son épitaphe :

 

Frédéric BRANCHE

Sergent au 99ème Régiment d'Infanterie

Médaille militaire - Croix de Guerre

Mort pour la France à Vrigny (Marne)

Le 9 juin 1918

 

Caveau de la famille Branche (Lyon - Cimetière "Ancien" de la Croix-Rousse - Photo par Kallikrates)

Caveau de la famille Branche (Lyon - Cimetière "Ancien" de la Croix-Rousse - Photo par Kallikrates)

Épitaphe de Frédéric Branche (Lyon - Cimetière "Ancien" de la Croix-Rousse - Photo par Kallikrates)

Épitaphe de Frédéric Branche (Lyon - Cimetière "Ancien" de la Croix-Rousse - Photo par Kallikrates)

 

Merci à Bertrand CHANNAC pour sa confiance et son aide.

 

Merci au Collège de Fontenilles et au Lycée de Fonsorbes pour avoir soutenu ce projet pendant ses 4 années d'existence. Un merci particulier à Mesdames Lemé et Ibos.

 

Merci aux 4 générations d'élèves qui se sont succédées pour porter la mémoire de Frédéric B. Merci à Teïlo Bachelier, Clément Prat, Servane Martinez, Axel Petit, Léa Seraffini, Mélanie Montes, Emilie Maillot, Arthur Cahuzac, Valentine Mouchard, Chloé Malet, Coralie Marin, Laura Soumillon,  Aï-Lan Raclot, Lucas Routou, Pierre Moulas, Lily Force, Marion Brandolin.

 

Merci à l'ensemble des médias qui ont relayé l'existence de ce projet. A la Mission Centenaire pour avoir labellisé de projet. A l'Académie de Toulouse, à ses IPR et à ses responsables du Centenaire pour nous avoir suivis et encouragés avec force.

 

Et merci à la communauté #1GM de Twitter, très active, pour son travail de Mémoire, qui se poursuit toujours (entre autres : @Mission1418 @guepier92 @cr_historial @nicolas_beaupre @laurentalbaret @aisne1418 @1J1Poilu @mbourlet @IWM_Centenary @I_W_M@La_Der_des_Ders @MDHDefense@josephzimet @GustaveFortier @APHG_National @WW1CC @Stbslam @franckviltart @josephine8910)

 

 

 

Ci-dessous : une partie de la vingtaine d'élèves s'étant relayés de 2014 à 2018 pour faire vivre le projet pédagogique Frédéric B. 1914-1918, et leur enseignant Monsieur Y. B.

 

Marion Brandolin, Monsieur Yann B., Servane Martinez, Léa Serrafini, Teïlo Bachelier, Arthur Cahuzac, Aï-Lan Raclot, Pierre Moulas, Lucas Routou (mai 2018 - Lycée Clémence Royer de Fonsorbes)

Marion Brandolin, Monsieur Yann B., Servane Martinez, Léa Serrafini, Teïlo Bachelier, Arthur Cahuzac, Aï-Lan Raclot, Pierre Moulas, Lucas Routou (mai 2018 - Lycée Clémence Royer de Fonsorbes)

Portrait colorisé du poilu Frédéric Branche - (© Bertrand Channac / Colorisation par http://histoire.de.couleurs.free.fr )

Portrait colorisé du poilu Frédéric Branche - (© Bertrand Channac / Colorisation par http://histoire.de.couleurs.free.fr )

Rédigé par Yann Bouvier

Publié dans #Autour du Journal

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