Journal du 21 avril au 1er mai 1917 - Ca barde !

Publié le 2 Mai 2017

Samedi 21 avril 1917

Je suis malade ; le genou gauche est raide. Visite : exemption de travaux pour trois jours.

Dimanche 22 avril 1917

Messe dans l’église d’Artemps : la moitié de l’église est occupée par un cantonnement ; le chœur est réservé au culte. Pauvres églises de France !

Lundi 23 avril 1917

Travail : nous allons poser des fils de fer à contre-pente de la cote 108. C’est plus loin, mais somme toute la zone dangereuse est moins longue à traverser.

Mardi 24 avril 1917

Cote 108 la nuit passée.

Mercredi 25 avril 1917

La nuit dernière, travail à la cote 121, à quatre cents mètres de la première ligne. " Ca barde ! ". Nous avons reçu quelques obus en franchissant la cote 108. J’avais hâte d’arriver au chantier. L’ennemi arrosait le bas-fond et les pentes au nord de la cote 108, mais nous sommes parvenus à destination sans incidents. Aussitôt que nous sommes dans le boyau, déjà ébauché, commence un marmitage sur son extrémité et la crête de la cote 121. Au retour, pas un obus.

Ma section, qui travaillait à découvert dans la zone du marmitage, a reçu deux obus de 105, à quelques mètres des poilus : par bonheur, les hommes étaient déjà terrés à cinquante centimètres de profondeur.

Il est de plus en plus question de notre relève dans le secteur. La 27e Division est venue depuis deux jours relever notre XIIIe Corps, mais elle ne resterait là que peu de temps.

 

Journal du 21 avril au 1er mai 1917 - Ca barde !

Jeudi 26 avril 1917

L’ordre de départ arrive. C’est pour demain. Pas trop tôt… Les poilus sont las de faire tous les jours vingt kilomètres sous les obus, deux heures de travail pénible pour un peu de nourriture. L’esprit est devenu mauvais dans la Compagnie. Les hommes sont aigris, les Officiers ne sont pas toujours à la hauteur de leur tâche.

Vendredi 27 avril 1917

Les deux bataillons se mettent en route à une heure d’intervalle. Nous partons à sept heures : Saint-Simon, Annois, Cugny, Villeselve, Berlancourt, Béhéricourt où les 1er et 3e Bataillons retrouvent le 2e et l’état-major du Colonel… Les deux dernières pauses après la grand-halte ont été pénibles, à travers bois, monts et vaux. Le cantonnement est assez bon.

Samedi 28 avril 1917

Installation au cantonnement. Journée splendide. Visite à Noyon, en compagnie de Defournel, Cecillon, Bertin !… Souvenirs mémorables !…

Dimanche 29 avril 1917

Le moral devient bon chez les poilus qui savent trouver le pinard, là où il est, en dépit des kilomètres.

Le Capitaine s’est aperçu de notre escapade à Noyon, le cahier de rapport n’ayant pas été émargé par la 2e section. Un de mes caporaux avait signé pour moi, de sorte que notre illustre Don Quichotte n’y a vu que du bleu… Defournel se voit infliger quarante-huit heures d’arrêts de rigueur, les deux autres quarante-huit heures d’arrêts simples qui leur ont été notifiés par pli cacheté… Quels rires !

Lundi 30 avril 1917

Le canon grondait fort hier au soir ; cette nuit il n’a pas chômé. N’était ce roulement, on ne se croirait pas en guerre, tant Béhéricourt est calme et tranquille.

Une note, remise du Bureau de la Compagnie, prescrit de mettre au repos les hommes, en vue d’un départ inopiné pour un secteur.

Les officiers doivent aller demain en reconnaissance. Ce serait, dit-on, du côté de Moy, Vendeuil… un secteur de repos.

MAI 1917

Mardi 1er mai 1917

Le temps est magnifique depuis plusieurs jours. Le canon gronde sourdement sur la droite…

Je suis au dégoût de la vie animale que je mène… Mon intelligence s’est rouillée, je ne puis à peine écrire ; le milieu grossier où je vis ne m’inspire que dégoût et m’abrutit. Je sens que je ne suis plus le même. A quand la vie de famille, pour quitter ce milieu ?… Et puis, je suis las de la guerre, de plus en plus terrible, sans issue… J’ai le cafard le plus noir… Je suis tellement accablé que je me rebute parfois, je ne sais plus prier… donc j’ai moins de force… Et autrefois, je m’efforçais de communier tous les jours !

Voici plusieurs mois que je suis dans cet état de sécheresse d’âme qui m’affaiblit devant la douleur…

 

Journal du 21 avril au 1er mai 1917 - Ca barde !

Rédigé par Frédéric B.

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